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Critique littéraire : Le Plongeur de Stéphane Larue

Anthony Bourdain (“Kitchen Confidential”) + Montréal : ça vous excite?

Si oui, vous aimerez “Le Plongeur”.

Vous le savez déjà, c’est un jeune qui rentre dans l’univers de la plonge et de la nuit à Montréal, l’hiver.

Au sein des pages de ce récent momument de littérature québécoise, brillent des scènes vives et des décors exacts. On ressent bien l’intensité blanche et bruyante de la cuisine en service, la pénombre enneigée de la ruelle où l’on fume, les néons des clubs où d’autres dansent, l’atmosphère des bars où ça se saoul, l’air tendu des salles de bains où ça se drogue. Telle en une symphonie cyclique, s’ensuivent le chaos de la cuisine, le bordel de la brosse, la vibe chill des colocs, la lueur du bus tard la nuit, la solitude des appartements lointains et la couleur vive de certains souvenirs. Cette variété de tons à pour socle les nuits de l’hiver, que l’on voit sous tous ses visages froids, secs ou humides, avec ses floccons minces ou gras tombant dans les halos des lumières orangées sous lesquelles se déroulent la vie des gens.

Cela vous en donne peut-être l’idée : plutôt qu’une histoire, ce roman apparait tel un tableau. Sans pour autant dire qu’il n’y a aucune histoire, il n’y a pas de fil narratif central solide ou clair ici.

Pour certains, c’est sûr que, sans puissant moteur narratif, le roman, avec ses 560+ pages, paraitra long. Ce n’est pas un thriller, sachez-le. Plutôt, c’est un portrait de Montréal que Stéphane Larue réussit très bien à peindre. On y voit ses rues et ses gens de tous les âges et milieux. Tout comme dans la vie, jamais le lecteur n’a droit à la pleine histoire de qui que ce soit. Toutefois, jamais personnage ici n’apparait comme faux ou deux-dimensionnel, comme s’il s’écroulerait sous inspection rapprochée. C’est plutôt que la vie déferle, c’est une grande métropole, et jamais un individu ne connaitra beaucoup plus que la surface des multiples gens qu’il croise, déjà qu’il y a la difficile tâche de se connaitre et de se maitriser soi-même. Pour cela aussi, le monde du « Plongeur » semble vrai; il n’y a pas que les décors, mais c’est comme si l’on pouvait plonger bien plus profondément dans n’importe quel de ses personnages et découvrir là toute une autre histoire. Selon moi, ce n’est pas là une mince réussite.

Au centre, il faudrait aussi mentionner que le protagoniste n’a rien d’un héro mythique. Il est « juste un kid », perdu avec ses espoirs et ses défauts. Il ment souvent, a souvent honte, se fait rejeter parfois et est porté par des évènements plus grands que lui. Dans les plus tendres moments, certains personnages le supporteront, l’aimeront à leur manière, dans la mesure qu’ils le peuvent, étant eux aussi imparfaits. Qui ne saurait se renconnaitre, au moins un peu, là dedans? Surement que des gens qui ne lisent jamais de livres.

Le succès de ce roman, c’est qu’il assume pleinement son esthétique d’underworld montréalais, et que malgré son monde riche et détaillé, il n’a jamais l’allure fatigante de n’être qu’une liste. Quel beau monde ce serait, d’ailleurs, si toutes nos listes étaient aussi agérables à lire que ce roman.

Pour moi, la prose de Larue enchante. Je ne saurais dire exactement c’est quoi. C’est réaliste. C’est beau. C’est détaillé. C’est plein de gens imparfaits. Il n’y a pas d’héroïsme. Il n’y a pas de quête centrale pressante. Il n’y a que le combat des jours. C’est la vie, quoi, et comme dans la vie certains n’aimeront pas le chaos des lieux décrits, mais pour d’autres, comme pour moi, « Le Plongeur » irradie d’une certaine poésie naturelle qui chatouille et qui rappelle les nuits buzzées et enneigées de la vie telle qu’on la voyait auparavant.

À lire pour gens qui ont déjà connu, ou qui souhaitent connaître, la rejection adolescente, les gens imparfaits et les nuits brûlées.

Dans Ses Yeux

En voyant ses yeux,

J’aperçu un reflet des cieux

Quelle est cette étincelle, ce feu

Qui s’échauffe en mon creux?

 –

Elle de famille brisée

Enfance envolée

Ange insultée droguée

Maintenant découvrant sa félicité

 –

Moi toujours d’amours empoisonnés

Qui ont mon cœur emprisonné

Assoiffé en vain d’un seul baiser

Suis-je? Je le suis finalement libéré

Chemins tortueux qui ont pour fin

Heureux hasard, croisée des destins

Dirent nos cœur: la joie! Finit la faim

Marchons ensemble, on se tient la main?

En contemplant ses yeux

Je lisais la main de Dieu

Qui écrit vous voilà les deux

Trouvez ensemble le bonheur un peu!

 –

Deux âmes qui

Après tant d’épreuves si

Mutuellement trouvait répit

Un Dieu? Surement oui

Dans mes rêves on rit

Nouvelle gêne on fuit

Amour jeune on se dit

Passé noir tant pis!

Mais rupture à l’aurore!

Pour mon rêve quel cruel sort

Technologie à faute à tort!

Mon seul lien à son âme et son corps

Victime d’un cruel jeu

Au coeur le pieux de l’adieu

En mon sein brule un feu

Moins saint c’est un aveu

 –

J’extirpe avec douleur

de ma plume sa douceur

Un résidu de ce bonheur

Que beauté sorte du malheur

Car sur cette page se meurt

Les mots d’un cœur

L’espoir de cette heure

Déjà perdant sa lueur

Que cette feuille soit

Comme une étoffe de soie

Soyeuse pour moi et pour toi

Souvenir diffus de la joie

Car à genou sous les cieux

Je blasphème un Dieu

Pour qui j’ai cru comme on peu

À un bonheur périlleux